MCG #55 : Pour une approche holistique de la compliance (Kermabon Avocat)
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Tout d’abord, connaissez-vous l’Atelier de la Compliance ?
C’est un espace d’échange entre professionnels de la compliance que j’ai créé en octobre 2023 entre échanges informels à Paris (chaque mois) et des formats en ligne (masterclass en ligne, webinar sur l’IA, groupe Whatsapp détails ici ). Cette année, on va aussi travailler en atelier pour constituer des livrables qui répondent à une problématique compliance et diffuser ces livrables en open-source.
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Interview de Séphora Kermabon : Maîtriser les réglementations européennes pour y répondre avec efficacité grâce à une approche holistique
Séphora Kermabon a fondé son cabinet d’avocat, Kermabon Avocat, dédié à la défense des droits humains et du climat. Au cours de sa carrière, elle a travaillé aussi bien en France qu’à l’étranger, en cabinets d’avocat et en ministères, dans des institutions internationales et des cabinets de conseil. Elle a ainsi développé une vision holistique et pratique des enjeux liés aux droits humains. Une vision qui croise justice sociale, climat et biodiversité.
1. Qu’est-ce qui t’a amené à fonder le cabinet Kermabon Avocat ?
Je suis profondément engagée pour la défense des droits humains depuis le début de ma carrière.
Dès mes études, en faisant le choix d’étudier le droit et la philosophie, je me suis intéressée aux fondements moraux et politiques des droits fondamentaux.
J’ai par la suite connu la rigueur des grands cabinets de droit européen des affaires pendant mes stages, mais je n’ai pas souhaité me fondre dans ce moule. Mon CAPA en poche, j’ai préféré suivre un master supplémentaire pour étudier les droits humains au Global Camus of Human Rights, à Venise. J’en ai profité pour me spécialiser en “Business and human rights”, à une époque où ce domaine était peu développé en France.
J’ai ensuite travaillé dans un cabinet d’avocat à Amsterdam et au UNHCR à Bruxelles, avant de revenir en France, où j’ai travaillé pour des cabinets de conseil en éthique des affaires. Progressivement, j’ai intégré la défense de l’environnement à ma pratique, considérant que les droits humains étaient directement impactés par les conséquences du changement climatique et la chute de la biodiversité.
Mais je voyais certaines limites dans le travail des cabinets de conseils, qui ont, de fait, une approche moins juridique. J’ai donc souhaité lancer mon propre cabinet d’avocat pour croiser une vision holistique des droits humains – dans le sens où elle intègre la défense de l’environnement – et mon expertise juridique.
Le cabinet a vu le jour car j’ai de profondes convictions en ce qui concerne la défense des droits humains et la lutte contre le changement climatique et le dépassement des limites planétaires. Je crois que tous les acteurs ont un rôle à jouer : communautés locales, société civile, scientifiques, ONG et entreprises. Poussée par les nouvelles réglementations en la matière, ces dernières doivent repenser leur modèle économique et leurs priorités stratégiques. Les avocats, quant à eux, doivent s’assurer que la conformité avec les nouvelles réglementations soit ancrée dans une compréhension plus globale des défis actuels et futurs.
2. Justement, sur ta matière il y a beaucoup de consultants et peu d’avocats. Quelle est selon toi la valeur ajoutée d’un cabinet d’avocat pour traiter des problèmes relatifs à la compliance ?
Les atouts d’un cabinet d’avocat sont les suivants :
Une expertise juridique au service de la clarté : simplifier la compréhension de réglementations européennes complexes pour mieux en assurer la conformité;
Une approche stratégique et innovante : allier sécurité et créativité juridique pour minimiser les impacts négatifs de son activité sur les personnes et la planète. Bénéficier des conseils d’un avocat, c’est aussi faire en sorte d’éviter tout social ou greenwashing ;
Des conseils alignés sur les standards internationaux les plus exigeants : assurer une compréhension des droits humains tels que définis par les conventions internationales de l’OIT, ou des objectifs climatiques avec l’Accord de Paris, pour garantir un respect des standards les plus protecteurs pour les personnes et la planète ;
Un engagement auprès des acteurs prêts à agir réellement : je m’investis auprès de ceux qui sont déterminés à opérer des changements concrets et durables.
La confidentialité : atout indéniable de la profession d’avocat, le secret professionnel est essentiel pour traiter des thématiques sensibles en matière de droits humains. Face aux exigences des nouvelles réglementations, l’avocat joue également un rôle crucial en accompagnant ses clients dans l’établissement d’une relation de confiance avec leurs parties prenantes. Il les conseille sur les informations à partager afin de répondre aux attentes croissantes en matière de transparence, tout en garantissant la conformité juridique et la protection des droits humains.
3. Des conseils pour répondre aux exigences des réglementations européennes en droits humains pour les entreprises ?
Le secret d’un bon accompagnement, c’est de partir des standards internationaux et des réglementations européennes et de les adapter à la taille, au secteur et aux spécificités d’une entreprise.
Cela étant dit, voici quelques bonnes pratiques qui peuvent s’appliquer autant aux grandes entreprises qu’aux PME et aux ETI :
Ancrer leurs politiques et procédures relatives aux droits humains, à l'environnement et au climat dans les standards reconnus. Ici, on parle des Principes Directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (UNGPs) ou encore des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des multinationales.
S’approprier les réglementations de l’Union européenne (CSDDD, CSRD, RDUE, etc.). Ces textes définissent des obligations spécifiques, qu’il est crucial de clarifier pour en assurer la conformité, notamment en matière de devoir de vigilance, de transition climatique, ou de reporting. Pour moi, tout est lié, par exemple, les standards de reporting de l’Efrag, les ESRS, offrent un cadre complet pour structurer le reporting relatif aux performances environnementales et sociales, et sont également utiles pour comprendre les attentes posées par la CSDDD !
Faire un état des lieux des politiques et pratiques existantes et du niveau d’engagement des fonctions clés. Par exemple, dans une ETI, il existe souvent des procédures en HSE qui peuvent déjà constituer une base pour intégrer les exigences de conformité en matière de droits humains.
Effectuer une cartographie des risques droits humains. L’analyse des droits humains les plus “saillants” pour l’entreprise est essentielle. Intégrer les risques climatiques dans cette analyse représente une avancée stratégique (mais surtout nécessaire), en identifiant des problématiques comme le stress thermique qui affecte déjà de nombreux travailleurs.
Développer des outils d’évaluation réguliers de ses filiales et partenaires commerciaux. Ces outils doivent être adaptés à la taille de l’entreprise et à sa chaîne de valeur, mais aussi aux enjeux identifiés lors de la cartographie. Il est judicieux de penser à des solutions innovantes et collaboratives (par exemple, mutualisation des moyens et des informations dans le cadre d’une initiative pluripartite à l’échelle sectorielle ou régionale), au-delà des audits et questionnaires traditionnels.
Mettre en place des actions de prévention et d’atténuation des atteintes graves aux droits humains. Un avocat a ici un rôle à jouer en promouvant des contrats responsables entre partenaires commerciaux, fondés par exemple sur les European Model Clauses (EMC). Ce modèle de contractualisation est réellement novateur : il ne s’agit pas de transférer les risques mais d’instaurer une gestion partagée et équitable des risques avec les partenaires commerciaux.
Instaurer un mécanisme d’alerte accessible aux travailleurs et communautés affectées. Si un système ne reçoit aucun signalement sur toute une année, cela peut signifier, soit que l’entreprise est absolument irréprochable, soit que le mécanisme est inadapté… On devine aisément l’option la plus probable !
S’améliorer grâce à un suivi des actions mises en place. L’analyse de performance est un outil clé en entreprise. Bien que des indicateurs ne soient pas toujours à même d'intégrer l’ensemble des droits humains, ils peuvent faire avancer des sujets autrement restés dans l’ombre. De plus, ils sont essentiels pour le reporting de durabilité imposé par la CSRD.
En résumé, la conformité avec les réglementations européennes relatives aux entreprises et aux droits humains, à l’environnement et au climat doit être vue dans sa globalité. C’est, selon moi, le seul moyen d’avancer efficacement et, surtout, de contribuer véritablement à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs et de vie des communautés touchées par les activités des entreprises. Car c’est bien là l’objectif principal !