Bonjour,
Bienvenue dans cette missive compliance numéro 34 !
Avant de commencer, un point sur l’Atelier de la Compliance.
Lancé début octobre, l’Atelier de la Compliance est une boîte à outils pour professionnels de la compliance, sous la forme de vidéos et de livrables disponibles.
A ce jour, deux modules ont débuté :
Comment créer une cartographie des risques de corruption dans le secteur privé animé par Frédéric Cordel, (extrait d’un chapitre en cliquant ici)
- Chapitre 1 : Comprendre ce que dit la loi et l'intérêt de la cartographie au delà de l'obligation légale
- Chapitre 2 : Une ou des méthodes ?
- Chapitre 3 : La méthode de l'AFA et ses limites
- Chapitre 4 : Connaitre les principaux scénarios de corruption
Comment créer un process compliance clair animé par Xavier Gattegno
- Chapitre 1 : l'impact du langage clair et du legal design
- Chapitre 2 : choisir son outil
Vous pouvez vous abonner ici, en insérant le code “MISSIVE” pour avoir 25% de remise (offre jusqu’au mardi 31 octobre).
Vous pouvez également suivre la page Linkedin.
Maintenant, place à la missive 34 !
Le douteux “name and shame”
Le troisième livre du Gai Savoir de Nietzsche se termine ainsi :
Qui appelles-tu mauvais ? — Celui qui veut toujours faire honte.
Que considères-tu comme ce qu’il y a de plus humain ? — Épargner la honte à quelqu’un.”
Dans la plupart des situations, il n’est pas admis socialement de faire honte à quelqu’un. Du harcèlement scolaire au dénigrement de son conjoint en public, il s’agit de comportements honnis par la société. Tout simplement, la honte est une émotion aux puissants effets dévastateurs et une société ne se construit pas sur des émotions aux puissants effets dévastateurs.
En compliance, la situation est différente puisqu’il existe le “name and shame” qui nous vient des Etats-Unis.
Cette pratique consiste à divulguer publiquement les noms des sociétés non conformes dans le but de les pousser à améliorer leur comportement.
Si l’efficacité de la démarche est encore à démontrer, cela soulève des préoccupations éthiques qui mettent en évidence la faiblesse des régulateurs (I). 3 facteurs spécifiques sont particulièrement problématiques (II).
Pourquoi le name and shame est douteux en compliance
Tout d'abord, l’utilisation de la honte comme levier pour le changement de comportement part du principe que la “peur du gendarme” est la seule motivation des individus pour respecter les règles. Il s’agit d’une conception très étroite de l’être humain. Un manquement à la conformité peut provenir de causes involontaires :
Incompréhension face à des normes complexes
Difficultés d’application pratiques de ces normes
Erreurs humaines indépendamment de la bonne volonté des opérationnels
Inadéquation des processus internes pour garantir la conformité
En évitant de s’attaquer aux causes profondes des manquements, le recours à la dénonciation publique apparait comme une alternative contre-productive.
Ensuite, les régulateurs peuvent profiter de la peur et des dommages à la réputation qui accompagnent la divulgation publique et la honte. Cela peut créer une dynamique de pouvoir malsaine entre le régulateur et l'entreprise, où le régulateur a le dessus. La société ne se conforme pas à la loi, mais à ce que dit le régulateur, par peur de ses actions sur la réputation de la société.
Enfin, cette pratique révèle la faiblesse institutionnelle de celui qui y recourt. Elle montre l’incapacité à faire respecter les règlementations de manière juste. Les régulateurs devraient se concentrer sur l'établissement de relations solides avec les entreprises basées sur la confiance et la responsabilité. En favorisant une culture de conformité et en fournissant des orientations et un soutien, les régulateurs peuvent encourager les entreprises à remplir leurs obligations de manière volontaire. Cette approche favorise non seulement un environnement réglementaire plus sain, mais démontre également la force et l'intégrité du régulateur.
Ce qui aggrave le name and shame en compliance
3 facteurs aggravent cette pratique en compliance.
Tout d'abord, la présence d'une doctrine nouvelle complique la situation. Les régulateurs modifient leur doctrine régulièrement ce qui est légitime. Cependant, les organisations ont besoin de temps pour les assimiler si elle diverge de leur pratique actuelle. Tomber très rapidement sur une société, sur une interprétation récente d’un texte, relève d’une diligence étonnante pour la société qui en fait les frais.
Ensuite, l'espace-temps rapide dans lequel nous vivons peut rendre le "name and shame" encore plus problématique. Les informations circulent rapidement grâce aux médias sociaux et aux plateformes en ligne, ce qui signifie que la divulgation publique peut avoir un impact instantané et potentiellement disproportionné sur la réputation d'une entreprise. Cela peut entraîner des conséquences graves et durables, même pour les sociétés qui ont commis des erreurs mineures ou qui ont déjà pris des mesures correctives.
Enfin, la faible notoriété de la société peut également aggraver les effets du "name and shame". Les petites entreprises ou celles qui ne sont pas largement connues peuvent être particulièrement vulnérables aux dommages causés par la divulgation publique. Avec une e-réputation faible, la divulgation fera tâche et prendra toute la place dans les recherches Google. Une mauvaise publicité peut avoir un impact disproportionné sur ces sociétés, mettant en péril leur viabilité financière et leur réputation.
Si le Conseil d’Etat a eu l’occasion de poser un principe de proportionnalité dans une affaire , il y a à ce jour peu de jurisprudences venues tempérer ces mécanismes.
Reste à espérer que cette pratique se révèle exceptionnelle à l’avenir et que la volonté de bâtir la compliance en France entre régulateurs et sociétés comme des partenaires reste la conduite habituelle pour aller de l’avant.