MCG #30 : l'apport de l'intelligence économique à l'évaluation des tiers (interview)
Anne-Solène Spido est Présidente de Marcele Advisory, un cabinet d’intelligence économique.
Diplômée en finance, intelligence économique et sciences politiques, elle a démarré sa carrière à Londres dans un cabinet spécialisé sur les problématiques de gestion des risques et compliance (CRI GROUP) puis à Paris au sein du pôle Business Intelligence du Groupe ADIT.
Chaque dimanche sur LinkedIn, elle publie un post informatif pour vulgariser l’intelligence économique.
Enfin, elle enseigne à l’ESMD, Paris Dauphine et l’IHEDN et occupe la position de Secrétaire Générale adjointe du SYNFIE (syndicat français pour l’intelligence économique).
1/ En tant que consultante en intelligence économique, sur quel type de mission une société va-t-elle faire appel à tes services ?
L’intelligence économique englobe différents types de missions, le point commun étant la capacité à collecter de l’information qualitative. Concernant Marcele, c’est un cabinet spécialisé sur les opérations de fusion-acquisition qui réalise des due diligence pour des fonds d’investissement et sociétés (buy side).
En complément des partenaires habituels (avocat, banquier d’affaires, conseiller financier), nous apportons des éclairages sur ce qu’on appelle « les intangibles ». Vérifier la réputation et les pratiques d’affaires, aller au-delà de l’organigramme officiel et comprendre les dynamiques de gouvernance, identifier un litige qui ne serait pas encore au stade de contentieux – par exemple, sont des éléments majeurs à prendre en compte dans une stratégie d’investissement.
Il faut savoir que plus d’une opération sur deux ne se passe pas comme prévu car les acheteurs manquent de visibilité sur ces intangibles. Ils font donc appel à Marcele pour réduire les angles morts et maîtriser leur niveau d’information – et avec le niveau de risque.
2/ En 2023, en quoi la qualité de l’information nécessite-t-elle un tel travail humain ? Plus directement, quelles sont les limites des grosses bases de données ?
Entre l’instantanéité de l’information, la surabondance de l'information, les fake news, etc, disposer d’éléments objectifs, utiles, pertinents et au bon moment est difficile et cela nécessite un travail de ciblage et de vérification des sources d’information.
Les bases de données sont utiles, j’en utilise certaines régulièrement. Elles ont l’avantage de faire gagner du temps en regroupant de nombreuses sources d’information, ou de proposer des informations inédites lorsqu’elles sont créatrices de contenus. Elles sont généralement en rapport avec un thème ou une activité et présentent donc naturellement des limites.
Lorsqu’on utilise une base de données, c’est important de bien comprendre le scope couvert c’est-à-dire quelles sont les sources d’informations, les zones géographiques et la période de temps couvertes ; afin d’identifier le périmètre de recherche et de pouvoir compléter le cas échéant. Ensuite, si la base de données fournit des résultats, il faut bien en amont formuler la recherche et en aval analyser ces résultats au regard d’une problématique spécifique.
L’humain est important dans la recherche et l’analyse d’information pour sa capacité à avoir un esprit critique et du « bon sens ». Deux éléments qui sont déterminants dans la façon de recevoir une information, de la juger – fiable, crédible, légitime, etc, de la digérer et enfin de l’utiliser.
3/ Et très concrètement, quels sont les 3 types de situation où les sociétés n’investissent pas assez dans la qualité de l’information ?
Sur les deals M&A (fusion-acquisition) il y a un vrai manque de visibilité sur les intangibles comme je le mentionnais dans la première question. Si les acheteurs connaissent déjà un certain nombre d’informations lorsqu’ils font appel à nous, le niveau d’information est généralement partiel sur des sujets basiques et inexistant sur le reste. Investir dans une due diligence IE c’est s’assurer d’avoir toutes les informations disponibles sur un sujet avant d’investir, d’avoir une vue d’ensemble sur les facteurs de risques et d’opportunités et ainsi d’avoir toutes les cartes en main pour négocier.
Un autre cas de figure, c’est lorsqu’une société se développe à l’étranger. Malheureusement cela se passe souvent mal par manque d’information qualifiée – voire un manque d’information tout court. Et il n’est pas nécessaire d’aller de l’autre côté de la Terre pour rencontrer des difficultés – je l’ai vu dans de nombreux dossiers. Même en Europe, les codes et les cultures varient et il y a des nuances et des spécificités locales qui doivent être connues et prises en compte pour réussir.
En France c’est plus facile car vous connaissez globalement les parties prenantes, comment elles fonctionnent, interagissent et lorsque vous devez chercher des informations vous parlez la langue. Tandis qu’à l’étranger il y a des vrais risques de mal comprendre, mal interpréter, mal agir. Faire une cartographie des parties prenantes et de leurs dynamiques, décrypter les agendas officiels et motivations personnelles, comprendre les spécificités locales, sont autant de facteurs clefs de succès pour votre stratégie et cela nécessite d’accéder à de l’information qualitative.
Enfin, un dernier exemple que je peux citer, c’est lorsqu’une société française met en place un nouveau partenariat, cela repose souvent essentiellement sur de la confiance « de prime abord » alors qu’il faudrait faire des vérifications – même basiques. Vérifier que l’entreprise existe bien, que ses dirigeants ne sont pas sous le coup de sanctions, qu’ils ont les certifications et autorisations nécessaires, etc. Dans de nombreux cas, un screening « light » suffit, mais cela demande de chercher /vérifier les informations au lieu de se contenter de les demander au partenaire potentiel.