MCG #28 : vers une justice négociée à la française ? (interview)
Caroline Boyer et Marie Perrault ont créé ensemble Novae Librae, un think tank dédié à la justice négociée, dont la soirée de lancement sera le jeudi 15 juin 2023.
Caroline Boyer est avocate au Barreau de Paris et exerce au sein du cabinet Boyer Fontaine en droit pénal et en droit pénal des affaires.
Marie Perrault est avocate aux Barreaux de New York, Paris, Angleterre et Pays de Galle (non-practising) et exerce au sein de sa propre structure en droit pénal, droit pénal des affaires et compliance.
Toutes les deux donnent des cours et dispensent des formations en matière d’enquêtes internes et de droit pénal tant auprès de confrères qu’au sein d’universités et écoles (Cergy-Pontoise, EFB, Créteil, ESMD).
1/ Vous avez toutes les deux une expérience significative en matière d’enquête interne. Ce procédé est-il indissociable de la justice négociée en ce qui concerne le secteur privé ?
CB/MP : Les mécanismes alternatifs aux poursuites en matière pénale (composition pénale, CJIP, CRPC pour n’en citer que quelques-uns) sont de plus en plus utilisés en France. Cette croissance en induit forcément une autre : celle des enquêtes internes. Ces deux matières s’auto-nourrissent.
Au sein d’une entreprise, l’ouverture d’une enquête préliminaire peut générer celle d’une enquête interne pour répondre aux demandes du Parquet ou gérer la crise.
Le renforcement de la protection du statut de lanceur d’alerte induit une forte croissance des enquêtes internes, ce qui naturellement augmente les éventualités de révélations spontanées ou de contentieux. Les entreprises sont donc indéniablement plus souvent confrontées à des situations relevant de la matière pénale où une enquête interne est nécessaire.
2/ Concrètement, avec le think tank Novae Librae , comment comptez-vous apporter votre pièce à l’édifice ?
MP : A mon retour de Londres, je ne retrouvais pas à Paris de lieu neutre et dédié où échanger avec l’ensemble des praticiens sur la justice pénale négociée. Très vite, nous avons discuté avec Caroline de ces sujets et l’idée de ce lieu a germée. Cela nous semblait évident et essentiel si on souhaite que cette discipline se développe et se structure en répondant à la réalité opérationnelle de chacun de ses praticiens.
CB/MP : Nous sommes parfaitement conscientes que réunir des magistrats, avocats, directeurs juridiques et autres praticiens autour d’une même table ne se fera pas en un jour. Chacune de ces professions a des obligations déontologiques et professionnelles propres et donc leur participation à des travaux doit s’adapter.
Toutefois, le terme de “justice négociée” implique que les praticiens de cette matière échangent entre eux pour aboutir à un accord. La justice négociée nous impose donc d’adopter une approche nouvelle et différente de la tradition française en matière pénale qui appelle nécessairement un renforcement des canaux d’échanges entre les différentes parties.
La création de groupes de travail au sein desquels les membres de l’association pourront discuter autour d’un sujet avec un objectif commun de rédaction d’une étude est un bon début. Pour que ces études soient utiles, elles contiendront chacune un panorama actualisé de la jurisprudence et du droit comparé, un retour d’expérience, des conseils pratiques et, lorsque cela sera opportun, des propositions de modifications législatives à relayer aux parlementaires. Des conférences seront régulièrement organisées afin que les groupes de travail présentent leurs travaux. A ces occasions, les autres membres de l’association pourront exprimer leurs points de vue d’expert sur les propositions émises.
3/ Quels seraient les autres « obstacles » à l’émergence d’une justice négociée à la française ?
CB/MP : La justice négociée à la française existe déjà c’est indéniable. La France a réussi le pari de s’inspirer de mécanismes anglo-saxons et de les adapter à un système juridique de droit civil. Le récent colloque en mars sur la “contractualisation du procès pénal” organisé par la Cour de cassation montre bien que les praticiens de droit pénal se sont saisis de cette notion et cherchent à en définir les contours.
4/ Quels vont être les sujets des premiers groupes de travail?
CB/MP : Il est important pour nous de commencer avec des sujets peu traités et transverses. Le premier sujet transverse concernant les thèmes CJIP/CRPC qui s’est imposé à nous très rapidement est “Le rôle du juge dans la justice négociée”. En effet, le juge qui homologue la CJIP/CRPC a une place bien identifiée dans les deux procédures. Il est pourtant moins présent que dans les procédures anglo-saxonnes. Le récent refus d’homologation d’une CRPC dans l’affaire “Bolloré” montre bien qu’une réflexion sur son rôle serait riche d’enseignement pour les praticiens.
Deux autres groupes de travail vont plancher sur : “La mise en oeuvre pratique du principe du contradictoire au cours de l’enquête interne” et “Le recueil de la preuve durant l’enquête interne”. Ces sujets sont intrinsèquement liés aux problématiques que nous rencontrons quotidiennement lorsque nous menons des enquêtes internes. Nous allons également proposer un groupe de travail relatif à la CJIP environnementale.